J'en reviens, de la guinguette pirate, c'était jeudi 23 mars, en première partie d'un groupe qui m'a plutot laissée froide (c'est rare), les Grails, des dub-post-rockiens de l'Oregon... Bref, je vais parler de ceux qu'il y a eu avant, les Clochards Célestes. Franchement à VOIR et à REECOUTER...
La modernité est à la destructuration de tous les outils et toutes les connaissances déjà accumulées. Pour faire de la musique qui intéresse, il faut faire de la recherche, et derrière ce mot déjà ( !) galvaudé, on entend quelque chose comme une tendance à toucher les instruments comme si c’était la première fois. Le problème c’est que dans ces cas-là, on se trouve à la limite du communicable, parce que les musiques qui en sortent apparaissent comme des entités volatiles et qui n’offrent plus de repères, de repères connus. Et cela a ses inconvénients : qui ne s’est pas retrouvé interdit lors d’un concert de musique contemporaine aux accents tellement « conceptuels » qu’il n’en a rien retiré… ou si peu…
Je reviens d’un concert des Clochards Célestes ; d’emblée j’ai envie d’affirmer qu’ils portent très très bien leur nom.
Comment exprimer cela, le langage, comme ils disent si bien, n’est que du « lait indigeste » par rapport au naturel du geste… Ils sont quatre, à décupler leurs humaines forces autour de huit instruments : deux basses, un clavier, une batterie, une guitare, une voix, une trompette et une clarinette. Sans compter d’autres « percussions » bien à eux. Et leur musique est effectivement imprévisible, parce qu’elle est un paroxysme de dés-apprentissage. Les racines classiques sont là, on les ressent : une ligne mélodique forte, et une assise rythmique et harmonique recherchée, privilégiée, posée sur un trône de rigueur. Mais… ce ne sont pas des harmonies, des rythmiques, ce sont leurs harmonies, leurs rythmiques. Et la mélodie ne peut que prendre une forme… prend-elle réellement une forme ? Elle épouse le mouvement et les accents de quelque chose que je qualifierais de « vie ». Pour renfermer dans un seul mot quelque chose d’infiniment complexe et inexprimable… Auprès d’eux, poésie et vie s’accouplent dans un paroxysme permanent, encore plus touchant dans les moments de calme peut-être. Et tout se lie (lit) dans une sorte de détresse, de volonté d’exprimer par chaque son produit une émotion ressentie uniquement par eux, peut-être même par chacun d’entre eux. La musique se met au service de l’expression de la vie dans ce qu’elle a de plus imprévisible, libéré de toute structure et de toute détermination. Et on retrouve le classique dans la division de ce tout tellement lié et en même temps tellement imprévisible en « mouvements ».
Ils sont sur un chemin bien à eux, dont ils réussissent à montrer l’accès à tous et chacun. Et ils n’ont pas de repères. Malgré ce dés-apprentissage parfois destructeur et acharné à se libérer, la musique des Clochards Célestes sait se rendre accessible, infiniment et authentiquement. C’est le miracle de certaines créations dites « modernes ». Miracle qui inspire, dans une respiration guidée par leurs accès et leurs accents, une musique qui suit le cours des frémissements d’une vie enfin élancée vers elle-même.