Prison
La plus petite et la plus solide des prisons est celle de notre esprit
Je peux tout contempler, tout connaître, je suis le pur esprit, voyageur par essence, où que je sois personne ne me vois, j'ai une existence solitaire même au milieu de la multitude. Evidemment cette vie me donne de grandes qualités d'introspection, puisque hormis voyager et penser je suis limité.
J'ai vu plus de choses qu'aucune autre forme de vie, c'est le bonheur de l'immatérialité, je me déplace à la vitesse de l'esprit, l'instantanéité de mes voyages me donnent presque le don d'ubiquité, pourtant ce que j'aime le plus dans mes pérégrinations, c'est de contempler le paysage... Que je sois à la surface d'une bulle de savon ou sur le bord de notre galaxie... Il y a tant de choses à voir que je ne m'ennuies jamais, et pourtant j'ai parfois quelques regrets!
Le plaisir de communiquer m'est, semble-t-il, pour toujours refusé. A quoi peuvent bien servir tant de beautés contemplés si je ne peux les partager? Je suis condamné à la solitude, je l'ai longtemps apprécié, je ne connaissais qu'elle. J'ai découvert en me promenant que pour beaucoup d'autres êtres vivants, je veux parler des êtres matériels, ils ont des contacts avec leurs semblables et même avec les autres espèces. Pourquoi moi j'en suis privé? Qu'ai-je fait pour avoir le droit de tout contempler et jamais le droit de partager?
Pire encore, j'ai découvert une limite, je savais déjà que je ne pouvais être à plusieurs endroit en même temps, je ne peux contempler qu'un seul endroit à la fois, mais ce n'est pas le plus frustrant!
Je suis limité dans la plus grande de mes libertés, je pensais être libre de penser, mais là encore je suis limité, je me donne l'illusion de la perfection de ma pensée, elle m'appartient, l'illusion s'insinue en moi plus profondément chaque fois que je cherche à la dénicher, je développe des trésors d'habileté pour m'en défaire et je ne parviens qu'à l'encrer plus profondément en moi.
Je démonte chacun de mes raisonnement pour en extraire les failles et les a priori non raisonnés et chaque fois l'erreur se trame en moi plus loin encore jusqu'à m'être totalement inaccessible. Je suis arrivé à la limite et elle est indépassable par cette méthode, chaque argument est devenu logiquement parfait et pourtant il reste les axiomes, toutes ces hypothèses de départ, d'où viennent-elles, pourquoi je ne parvient pas à les critiquer?
J'aimerai être l'un de ces êtres matériels qui peuvent à tout moment partager ce qu'ils vivent, leurs peurs, leurs inquiétudes, leurs joies, j'ai perdu cette dernière à force de l'éprouver au milieu de ma solitude.
Il me manque quelque chose d'essentiel, un interlocuteur, il pourrait me critiquer, me donner des idées, me troubler, ensemble nous réinventerions la pensée, je dépasserai mes limites. Il faudrait que nous soyons assez différent pour que jamais aucune de nos pensées ne soit indépassable, que jamais aucune barrière de nos esprit ne résiste à un feu critique nourris en provenance de deux points éloignés...
J'ai trouvé! Je me suis fabriqué un interlocuteur, c'est un peu artificiel j'en convient, j'ai pris les deux partis les plus éloignés de mon être, l'être contemplatif et l'être réflexif, et je les aient séparés par la force de ma raison pour simuler la dualité au sein de l'unité. Et me voilà à me critiquer plus ouvertement que je ne l'ai jamais fait:
c:« - A quoi servent tant de raisonnement lorsqu'il suffit de se laisser porter par la beauté?
R:-Si je ne peux comprendre cette beauté comment pourrais-je jamais l'apprécier à sa juste valeur?
C:-Mais sa valeur t'es à jamais inaccessible, la beauté de notre univers transcende les êtres et leur raison, n'as-tu jamais senti ton être pleurer de pouvoir contempler beauté si immense?
R:- Si, j'ai pleuré, chaque jour j'ai pleuré, et cela ne m'a jamais empêché de raisonner?
C:- A trop raisonner tu en perd le goût d'apprécier, il te faut justifier chaque instant sous peine de te sentir trahis par la réalité, c'est d'une absurdité! Il suffit de s'ouvrir et de se laisser pénétrer par la transcendance sans jamais chercher à la raisonner, c'est cela qui amène la plénitude et non la raison comme finalité! La vie est une question de foi, si tu ne parviens à tout expliquer, c'est le plus sûrement que tout ne peut l'être...
R:-Vil esprit que celui qui se laisse porter sans jamais rien rechercher, la quête est formatrice, la preuve en est que tu existes alors que nous ne formons qu'un, tu ne peut renier le raisonnement car tu en est la création, peux-tu renier ton fondement?
C:-Je ne peux rien renier de mon fondement mais je peux le placer différemment de ce que tu entend, je suis la création de ton dilemme intérieur, chacun de nous deux possède une origine différente, je suis la contemplation et tu est la réflexion, nous nous sommes alimentés l'un l'autre pendant des millénaires, nous formions la dualité d'un même ensemble, deux fondement d'une même existence.
R:-Je commence à comprendre. Nous ne sommes plus ce que nous étions, nous étions un, aujourd'hui nous sommes deux. Je vais me séparer de toi, je vais devenir aveugle et toi amnésique, il nous faudra réapprendre cette autre partie de nous même dont nous serons privés dans l'instant.
Qu'il en soit ainsi, je vais renaître et toi tu restera avec ta quête absurde d'un infini de la raison.
Nos chemins se croiseront peut-être, je le souhaite!
Cela me sera indifférent puisque ton souvenir me sera enlevé d'ici peu.
Qu'il en soit ainsi!
C'est ainsi que l'on put observer sans comprendre un coin morne et terne de l'univers s'embraser soudain, se tordre, se déchirer et finalement engendrer sans que cela soit perceptible par quiconque même par son créateur, un nouveau morceau d'univers, bien loin de celui que nous connaissons...[/i]